Comment la vidéo nous manipule ?
Publié le 27 avril 2010 à 20h05 dans Langage & Médias
Les français regardent la télévision plus de 3 heures par jour. C’est une heure de plus qu’il y a 10 ans, et c’est largement l’activité la plus chronophage du temps libre dont nous disposons. Pourtant, aujourd’hui, le petit écran n’est pas la seule source de vidéos dont nous disposons, notamment grâce à Internet.
Il faut que ça buzz
Une vidéo pour que ça marche, il faut que ce soit court, efficace. Récemment, un étudiant en école de journalisme l’illustra avec le ramdam autour de la colère de Jean-Luc Mélenchon. La vidéo est effectivement très bien adaptée au système médiatique. Hélas comme souvent, pour ne pas dire toujours, le traitement qui en a été fait est resté superficiel. L’école de journalisme de Sciences Po travaillait apparement avec ses élèves sur une démonstration qu’un format vidéo court est adapté au buzz sur Internet. Le contexte n’est guère éclairé, et ce qui intéresse est la polémique.
Pourtant ce n’est pas caractéristique d’une vidéo. De nombreux contre-exemples existent, comme avec les longs-métrages ou les documentaires ennuyeux d’arte. Ces vidéos buzz sont plutôt caractéristiques du mode de vie moderne, dans la précipitation, dans le vif, dans l’immédiat, à l’opposé, donc, de la réflexion posée.
L’image comme réalité

Le buzz ou le ramdam pour les anglophobes, est donc particulièrement adapté au format vidéo mais n’en est pas une caractéristique.
Cette adaptation tient au fait que la vidéo rend floue pour ne pas dire invisible la frontière entre le réel et le virtuel. Quand on voit des images, notre cerveau l’interprète spontanément comme étant la réalité. C’est naturel et bien normal, inconsciemment, on croit que ce qu’on voit est bien réel.
Il faut une démarche active pour contrer cette impression, c’est à dire penser au fait qu’on reçoit une information travestie, fausse, montée. Si l’on vous met devant un miroir vous saurez que ce que vous voyez est une image de vous et non la réalité. Vous ne vous laissez pas abuser par vos sens grâce à votre cerveau qui analyse l’information reçue. De nombreux animaux n’ont pas cette conscience de soi et a fortiori la capacité de comprendre qu’une donnée que reçoit leurs sens puisse être fausse. L’humain, lui, possède cette capacité, mais il ne s’en sert pas. Ou pas assez quand il s’agit de vidéos plutôt.
Alors, autant devant un miroir, c’est quasiment instinctif, car vous savez que vous êtes unique. Le fait qu’une autre personne vous ressemblant apparaisse spontanément devant vous n’est pas très plausible. Mais quand on vous présente une image ayant les apparences de la réalité, une image crédible, le processus est autrement plus difficile…
Restricted time area

Vous êtes sûrement aller voir des films comme Harry Potter ou le Seigneur des Anneaux. Ou tout autre film qui se veut être la transcription au cinéma d’un livre, pour les plus réfractaires à la culture populaire. Prenons plus précisément La coupe de feu, tome 4 d’Harry Potter. Le livre fait 656 pages, le film 2h31. Chaque minute du film correspond donc à un peu plus de 4 pages du livre.
On constate rapidement qu’il manque une infinité de détails décrits dans le bouquin, quand ce n’est pas des personnages qui ont complètement disparus ou des scènes qui ont été entièrement oubliées. Et pourtant c’est une adaption plutôt réussie… En fait, pour retranscrire tout la richesse de l’ouvrage original il faudrait que le film fasse au moins une douzaine d’heures.
Ça peut paraître évident, mais est bon de rappeler qu’il faut un temps conséquent pour développer une situation, une réflexion, une argumentation. Et c’est l’anti-thèse du format vidéo. Il doit capter l’intérêt sans arrêt. Il n’est tout simplement pas adaptée à subir une analyse en temps réel. Techniquement, une vidéo ce sont des images. La parade tient au fait qu’à partir de 24 mages par seconde, notre cerveau les relie entre elles pour créer une illusion de mouvement fluide.
Une soumission plaisante
Il faut savoir qu’une image construite peut en général faire l’objet d’une analyse assez poussée sur les divers choix de placement, de couleurs, de formes, etc. Une analyse un minimum sérieux prend plusieurs minutes. À 24 images par secondes, enfin non, c’est exagéré car les changement entre chaque image sont plutôt minimes et pas significatifs à chaque image. Mais même prenons à chaque changement de plan, de scènes. Et bien, aucun humain ou ordinateur n’a la capacité et la rapidité de faire cette analyse en temps réel.
De toute façon même si on avait la capacité d’analyser une vidéo en temps réel, l’énergie que ça demanderait d’être attentif au moindre détail, d’analyser logiquement chaque situation serait tout simplement épuisant. Et c’est bien l’avantage de la vidéo, d’être tout sauf épuisant. La passivité quasi totale qu’elle demande à celui qui la regarde est tellement confortable.
La télé est mon amie
C’est là que la bât blesse, on ne regarde pas, et on ne peut le faire, une vidéo d’un œil critique. Ou alors il faut tout enregistrer, le repasser, mettre pause, et remettre en question chaque image. Ici, on peut aisément me traiter de paranoïaque. Pourquoi vouloir à tout prix analyser une vidéo qu’on regarde, qu’on soit passif très bien, et alors ?
Pour répondre à cela, j’ai fait une observation amusante. Si on dit à quelqu’un ce qu’on pense, et qu’il se trouve que son avis soit opposé, en règle général, il contestera ou sera sceptique. Pourtant s’il le voit à la télé il le prendra comme une vérité. J’ai de nombreuses fois observé des gens répéter une opinion, ou une façon de voir les choses qui est un copié coller de ce que disait la télé. Je vous invite à faire attention à la même chose. Ce que j’en tire, c’est l’a priori amicale qu’il y a face une vidéo, en fait c’est pire que de la passivité. Cette impression de connaissance qu’on peut avoir d’une personne qu’on voit régulièrement dans des vidéos comme si elle nous connaissait tout autant en est caractéristique.
À la lumière de cela, il me paraît que la vidéo est manipulatrice par essence.
La vidéo ce n’est pas le mal
Vous l’aurez sans doute compris, je regarde peu la télévision car elle revêt tous les aspects manipulatoires de la vidéo, j’en parlerai peut être dans un autre article. Pour autant je ne condamne pas la vidéo en général, c’est son utilisation abusive à laquelle elle est pré-disposée qui m’agaçe.
Techniquement la vidéo c’est formidable, pour des raisons similaires qui peuvent amener à la condamner d’ailleurs. Le confort c’est agréable en soi. Le problème étant les tentations d’utiliser cette passivité pour faire passer des messages fallacieux, comme avec les publicités dont c’est le but avoué.
Cependant, même dans une publicité, une vidéo peut être belle à voir en dehors de toute considération politique.
Je trouve que la vidéo est un outil esthétique formidable, de par sa capacité à imiter voir transcender la réalité. Elle illustre, elle peut être le point de départ d’une réflexion, elle un vecteur formidable donnant de la consistance à une pensée, une idée, une chanson, une histoire…
Rien ne vaut les mots
Finalement, l’outil idéal pour une réflexion me paraît être les mots. Mais les mots écrits. Deux raisons à cela.
Le grand travers d’un débat oral, qu’il soit monté en prenant soin du placement de chaque invité ou qu’il soit fait entre 2 pintes au bistrot est son manque de précisions dans les termes. On passe beaucoup de temps à se répéter ou à reformuler une idée quand on ne se bat pas sur une définition. Ou pire, quand on ne finit pas nos phrases car passant d’une pensée à l’autre.
L’autre avantage est la possibilité de lire à sa vitesse. Une vidéo elle avance, tu la suis, point barre. Un texte, on le lit selon son rythme ou selon l’importance qu’on veut apporter. On peut facilement relire un passage mal compris, c’est plus difficile de revenir en arrière sur une vidéo pour retrouver ou commence la scène voulue.
Un débat ne peut se faire mieux qu’à lécrit, avec des mots définis précisément, qui ne sont en réalité que des tâches noires sur du papier, mais qui prennent sens grâce à notre pensée. Les mots sont des outils pour réflechir avec le minimum de parasites dans la pensée.
La vidéo quand à elle paraît réelle alors qu’elle ne l’est pas. Elle fait appel à nos émotions et non à notre raison. On analyse un texte tandis qu’on subit une vidéo.
Peut-être est-il temps de réduire notre temps d’asservissement à la vidéo en général et la télévision en particulier ?
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L'auteur
Brogol
Jeune designer & webdéveloppeur autodidacte. Fort de 24 années d'expérience au sein de l'humanité, ma capacité à avoir et à partager une réflexion politique fait de moi un atout aussi indispensable que les 6,9 milliards d'autres individus pour l'avenir de notre planète.
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